Par Michel Cournoyer – Selon le Forum économique mondial, les compétences (“skills”) sont devenues la “monnaie d’échange” (“the core currency”) sur le marché du travail. Les employeurs ne cherchent plus un candidat dans une profession. Ils recherchent des compétences, des talents. Mais ce virage nécessite l’utilisation d’un langage commun permettant notamment de les reconnaître, les certifier, les rehausser et de définir la rémunération en fonction de celles-ci. Un langage qui serait partagé par la main-d’oeuvre, les jeunes aux études, les employeurs et les institutions d’enseignement et de formation.
Or, il existe un flottement de vocabulaire important relativement à la nomenclature des compétences. C’est notamment le cas pour les compétences du futur, les compétences essentielles, les compétences clés, les compétences transversales.
Tour d’horizon de modèles et discussions sur les perspectives du point de vue des employeurs.
Qu’est-ce qu’un référentiel de compétences ?
Les référentiels définissent un langage commun en matière de compétences, un dictionnaire pour pouvoir se comprendre. Ils détaillent le profil de compétences d’un titre d’emploi aux fins de la certification ou de l’attestation. En somme, un référentiel reconnu permet d’attester du caractère transférable et qualifiant d’une formation.
Un énorme flottement de vocabulaire
Les termes compétences, scolarité, diplômes et qualifications sont souvent utilisés, à tort, de manière interchangeable. À titre d’exemple, au Canada, la définition de “compétences” que l’on retrouve dans la Classification nationale des professions (CNP) réfère à des catégories professionnelles (gestion, professionnelle, technique…) où le niveau d’éducation ou de scolarité sert souvent de synonyme au terme “qualification”.
Le terme les “compétences du futur” est devenu un “buzz word” très populaire chez les futurologues. Généralement, ce terme réfère aux compétences qui seront les plus fortement sollicitées dans le futur. Sur cela, la plupart des recherches pointent vers des compétences dites clés, essentielles, transversales ou de base, de “soft skills” (terme souvent traduit par “compétences relationnelles”), dans un énorme flottement de vocabulaire. Le tableau suivant compare les compétences les plus en demande en 2018 et en 2022 selon le World Economic Forum. On voit bien le lien avec les compétences “clés” souvent dites “essentielles.”
Les Compétences clés de l’Union européenne
L’UE ” insiste pour que les pouvoirs publics au sein de l’Union européenne (UE) intègrent l’enseignement et l’apprentissage des compétences clés dans les stratégies d’éducation et de formation tout au long de la vie. La recommandation identifie huit compétences clés qui sont fondamentales pour chaque personne vivant dans une société basée sur la connaissance.”[1]
“Les huit compétences clés sont les suivantes:
- Communication dans la langue maternelle: la faculté d’exprimer et d’interpréter des concepts, pensées, sentiments, faits et opinions à la fois oralement et par écrit;
- Communication en langues étrangères: la faculté décrite au point précédent, à laquelle s’ajoutent des compétences de médiation (résumer, paraphraser, interpréter ou traduire) et de compréhension des autres cultures;
- Compétences en mathématiques ainsi qu’en sciences et technologies: une maîtrise solide du calcul, la compréhension du monde de la nature et la faculté d’appliquer les connaissances et les technologies aux besoins de l’homme (comme la médecine, le transport ou la communication);
- Compétence numérique: l’usage sûr et critique des technologies de l’information et de la communication au travail, dans les loisirs et dans la communication;
- Apprendre à apprendre: l’aptitude à gérer efficacement soi-même son apprentissage, à la fois de manière individuelle et en groupe;
- Compétences sociales et civiques: l’aptitude à participer de manière efficace et constructive à la vie sociale et professionnelle et à s’engager dans une participation civique active et démocratique, notamment dans des sociétés de plus en plus diversifiées;
- Esprit d’initiative et d’entreprise: l’aptitude à passer des idées aux actes par la créativité, l’innovation et une prise de risques, ainsi que la capacité de programmer et de gérer des projets;
- Sensibilité et expression culturelles: l’appréciation de l’importance de l’expression créatrice d’idées, d’expériences et d’émotions sous diverses formes, dont la musique, les arts du spectacle, la littérature et les arts visuels.”[2]
Ni les compétences clés ni les “compétences du futur” ne sont désincarnées des autres. Elles s’insèrent forcément dans un cadre plus général, comme celui de la pyramide des compétences, pour emprunter un terme du modèle américain. Les compétences dites essentielles en forment la base.
Les États-Unis et l’Union européenne ne sont pas seuls. Plusieurs autres pays à travers le monde ont déjà mis en œuvre des cadres généraux. C’est notamment le cas en Australie, le Royaume-Uni, de Singapour, la Suisse, la Suède et l’Espagne. [3]
Qu’en est-il au Québec ?
Le Québec a aussi son cadre général adopté dans le contexte de la loi du 1%. [4] Mais ce cadre n’a pas d’assises conceptuelles comme le modèle américain. Les normes professionnelles, qui sont définies par les comités sectoriels et approuvées par la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT), sont les référentiels en vigueur au Québec servant au Programme d’apprentissage en milieu de travail (PAMT). Il va sans dire que leur portée et leurs applications sont limitées. Le coût d’élaboration d’une norme est élevé (pouvant atteindre plus de 200 000@$ / norme à notre connaissance).
Le gouvernement fédéral, avec la collaboration de Statistique Canada, a déjà tenté l’exercice de définir “unilatéralement” les “compétences essentielles” pour chacun des codes de la Classification nationale des professions (CNP). Les travaux ont été abandonnés au milieu des années 2010, mais ils ont repris récemment dans la foulée de la création du Skills Lab (maintenant Compétences Future / Future Skills) pour un cadre général ne se limitant pas aux compétences dites essentielles. Un état de situation des travaux a d’ailleurs été présenté au Forum des employeurs des commissaires de l’Assurance-emploi du 27 février 2020.
En outre, tous les programmes de formation professionnelle et technique (FPT) au Québec définissent les compétences à développer pour le niveau de l’entrée dans le métier ou la profession. Il est à noter qu’en règle générale, les cadres développés au gouvernement fédéral n’utilisent ni ne réfèrent à ces profils de compétences. En somme, les gouvernements se parlent peu sur cette question. Mais même au Québec, les référentiels du PAMT sont juxtaposés à ceux de l’Éducation et il n’y a pas d’intégration véritable.
Comment s’assurer que les référentiels servent ?
Élaborer des référentiels coûte généralement cher. Ils doivent aussi être mis à jour sur une base périodique. Mais seront-ils utilisés ? Pour l’être, ils doivent être reconnus comme valides par les utilisateurs comme l’est une monnaie pour utiliser l’analogie du World Economic Forum. À titre d’exemple, serviront-ils aux institutions de formation, dans l’élaboration et la révision des programmes de FPT, à l’évaluation des résultats des élèves, dans les relevés de notes pour pouvoir attester des compétences acquises ? Les étudiants y auront-ils recours pour leur choix de programmes ? Les employeurs les utiliseront-ils dans leur recherche de candidats et leurs décisions d’investir ? Les chercheurs d’emploi vont-ils les utiliser pour préciser leur profil de compétences ?
Des alternatives [5]
“Digital badge : A clickable graphic that contains an online record of 1) an achievement, 2) the work required for the achievement, 3) evidence of such work, and 4) information about the organization, individual or entity that issued the badge…
“Micro-credential : A term that encompasses various forms of credential, including ‘nano-degrees’, ‘micro-masters credentials’, ‘certificates’, ‘badges’, ‘licences’ and ‘endorsements’. As their name implies, micro-credentials focus on modules of learning much smaller than those covered in conventional academic awards, which often allow learners to complete the requisite work over a shorter period. In their most developed form, micro-credentials represent more than mere recognition of smaller modules of learning. They form part of a digital credentialing ecosystem, made possible by digital communications technologies establishing networks of interest through which people can share information about what a learner knows and can do.
“Open badge : Visual digital tokens of achievement, an affi liation, authorization or some other trust relationship sharable across the web. Open badges represent a more detailed picture than a curriculum vitae (CV) or résumé as they can be presented in ever-changing combinations, creating a constantly evolving picture of a person’s lifelong learning.
“Open standard : A technical standard made available to the general public that is developed (or approved) and maintained via a collaborative and consensus-driven process. Open standards facilitate interoperability and data exchange among different products or services, and are intended for widespread adoption.
“World reference levels : A translation device that would be able, in the future, to act as a neutral reference point for the recognition of learning across countries and regions.” [6]
“The Credential Transparency Description Language is a metadata infrastructure that conforms to the World Wide Web Consortium’s specifications and its vision for open Linked Data. The Credential Registry is an open-source, web 3.0–based database that captures, connects, and makes searchable current information about credentials of all kinds, the organizations that award those credentials, and the quality assurance bodies that endorse, approve, accredit, or otherwise recommend them. That information is published voluntarily by participating credentialing and quality assurance organizations.” (référence @ https://credreg.net)
Les UEC de SOFEDUC : ” L’unité d’éducation continue (UEC) est une reconnaissance standardisée des activités de formation continue qui répond à un besoin réel tant des personnes que des organisations. L’UEC est un standard de qualité de l’éducation et de la formation continue à faire valoir partout. ” [7]
Taxonomies diverses : de nombreuses entreprises en ressources humaines et placement développent une taxonomie des compétences enfin d’effectuer du repérage et de l’appariement. C’est notamment le cas chez LinkedIn[8] et BruningGlass[9].
Le modèle fédéral qui sera rendu public sous peu s’inspire largement de la pyramide du O*Net américain. Or, la plupart des modèles alternatifs se sont développés aux États-Unis. On peut donc croire qu’il s’agit là d’une solution partie et insuffisante. Quelle est donc la meilleure stratégie ? Commencer par prendre le capital humain en compte et laisser les acteurs choisir ?
Comptabiliser la valeur du capital humain de l’entreprise
“It is becoming harder and harder to find talent with key skills, while redundancies and severance expenses are mounting. Investment in internal training can help tackle these issues, but companies often do not prioritise such initiatives owing to cost, time, the unclear return on investment, and the risk that employees will leave. ”
“United States Generally Accepted Accounting Principles (GAAP) and International Financial Reporting Standards (IFRS) do not allow businesses to estimate the value that human capital investments have on the company or recoup any expected returns. If training can only be listed as a cost, businesses wishing to appease shareholders lack incentives to invest in the long term. ”
“Alternative reporting frameworks, which show the connection between intangible value investments – such as human capital – and profit, are gaining ground with companies and stakeholders. Yet these do not yet sway corporate decisions. ”
“Alternative accounting and investment models can help change how expenses for human capital investments are capitalised over time. Three models are discussed in this report to inform and inspire change, including considerations around implementation, with the recommendation that the Employability Account represents the greatest potential benefit. However, making a change to official accounting standards – which extends to rethinking related tax incentives – is a laborious affair, and is best driven by political and business action. ” [10]
Dans son récent livre, The Gift of Global Talent, l’économiste de Harvard William R. Kerr soutient que le talent est la ressource la plus précieuse des nations. Les connaissances et les capacités collectives de la main-d’œuvre américaine valent environ 240 billions de dollars, soit quatre fois plus de valeur que le stock de capital physique du pays et dix fois plus que toutes les terres urbaines des États-Unis.[11]
[1] UE : L’éducation et la formation tout au long de la vie — Compétences clés @ https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=LEGISSUM:c11090&from=FR
[2] ibid
[3] Pour un tour d’horizon plus complet voir Source: Cedefop (2019). Overview of National Qualifications Framework Developments, p. 2-8 @ https://www.cedefop.europa.eu/files/8609_en.pdf.
[4] Voir @ https://www.cpmt.gouv.qc.ca/publications/pdf/Gabarit-Doc-K.pdf
[5] Adaptation à partir de Chakroun, Borhene, Keevy, James (2018) : Digital credentialing: implications for the recognition of learning across borders, UNESCO, p. 10-11.
[6] Chakroun, Borhene, Keevy, James (2018) : Digital credentialing: implications for the recognition of learning across borders, UNESCO, p. 10-11.
[7] À propos des UEC @ http://www.sofeduc.ca/unite-d-education-en-continue–uec-/a-propos-des-uec
[8] LinkedIn (2019): 2020 Emerging Jobs Report @ https://business.linkedin.com/content/dam/me/business/en-us/talent-solutions/emerging-jobs-report/Emerging_Jobs_Report_U.S._FINAL.pdf
[9] BurningGlass : Mapping the Genome of Jobs The Burning Glass Skills Taxonomy @ http://go.pardot.com/l/367681/2019-09-11/9z78j
[10] The Adecco Group (2019). Bridging the skills gap: Rethinking workforce investment, p. 2.
[11] Joseph Parilla (2019) Talent is America’s most precious resource—it’s time economic development organizations focus more on developing it, Brookings Institute, @ https://www.brookings.edu/blog/the-avenue/2019/12/11/talent-is-americas-most-precious-resource-its-time-economic-development-organizations-focus-more-on-developing-it/?utm_source=feedblitz&utm_medium=FeedBlitzRss&utm_campaign=brookingsrss/topfeeds/latestfrombrookings
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