YVON BOUDREAU ET MICHEL COURNOYER RESPECTIVEMENT EX-SOUS-MINISTRE ASSOCIÉ RESPONSABLE D’EMPLOI-QUÉBEC, ET ÉCONOMISTE DU MARCHÉ DU TRAVAIL ET EX-DIRECTEUR DE LA PLANIFICATION STRATÉGIQUE, DE LA RECHERCHE ET DE L’ÉVALUATION AU MINISTÈRE QUÉBÉCOIS RESPONSABLE DE L’IMMIGRATION
C’est bien connu, le mieux est l’ennemi du bien. À trop vouloir être parfait, on finit par nuire aux nobles objectifs que l’on poursuit.
C’est le cas des nouvelles exigences de connaissance du français imposées aux candidats à l’immigration au Québec. À partir du 1er janvier 2020, une connaissance initiale du français oral de niveau intermédiaire avancé sera exigée non seulement au demandeur principal, mais à son conjoint et ses enfants majeurs avant qu’ils n’entrent au Québec. Le débat de la semaine dernière sur les listes associées au Programme d’expérience québécoise (PEQ) a relégué au second plan cette modification au Règlement sur l’immigration. Pourtant, elle est susceptible d’avoir encore plus de conséquences.
Nous souscrivons tous aux objectifs d’intégration des immigrants à la société française. Mais, on ne réussit pas l’intégration économique et linguistique avant l’arrivée. La méconnaissance initiale du français ne devrait pas empêcher l’immigration de personnes dont les compétences sont recherchées. Les besoins sont croissants à cause du resserrement du marché du travail. Il faut adapter l’approche à cette réalité.
En 2012-2013, le ministère québécois de l’immigration a augmenté ses exigences de connaissance du français dans sa grille de sélection des candidats. Or, à compter de 2013, on a observé une diminution significative du nombre de personnes immigrantes déclarant connaître le français (selon les nouvelles exigences). Chez les travailleurs qualifiés, on est passé de 21 909 personnes admises au Québec en 2013 à 13 583 en 2018, une chute de 38 %! Jusqu’où ces chiffres devront-ils encore descendre encore avant de reconnaître qu’il y a un problème ?
Vouloir à tout prix sélectionner les immigrants sur la base d’une connaissance assez élevée en français, c’est se condamner à recourir à un bassin nettement restreint de candidats potentiels à l’immigration (le français n’étant pas la langue dominante dans le monde, loin de là).
Partout dans sur la planète, les organisations publiques et privées se concurrencent sans merci pour recruter les talents. Doit-on, dès lors, livrer bataille sur un terrain plus étroit ? Nous croyons, qu’au contraire, on devrait chercher à accroître la diversité d’origine de l’immigration économique. Ici comme dans le cas des listes du PEQ, il est indispensable de s’appuyer sur une vision stratégique.
Pour répondre aux besoins d’une économie aussi développée que la nôtre, il est absolument essentiel d’élargir nos critères de sélection, tout en maintenant nos objectifs d’intégration à la société francophone.
Cela s’applique également aux immigrants admis à titre de travailleurs temporaires. Si après une année ou deux, ils souhaitent demeurer en permanence au Québec, nous leur refuserons l’accès s’ils ne parlent un français suffisamment avancé. Nous nous privons ainsi de travailleurs hautement qualifiés et de travailleurs manuels qui occupent des emplois en pénurie. Ces immigrants sont même désavantagés parce que, occupant un emploi à plein temps, ils n’ont pas eu le loisir de s’inscrire à des cours de francisation, contrairement aux immigrants qui étaient à l’aide sociale.
La vraie solution réside dans les mesures du gouvernement visant l’intensification de l’apprentissage du français. Cette stratégie est davantage porteuse d’avenir que les restrictions à l’admission. Il en va de même pour la régionalisation de l’immigration. Un allophone ne « survivrait » pas au Lac-Saint-Jean s’il n’apprenait pas rapidement le français.
Bref, donnons-nous la chance de sélectionner les immigrants les plus compétents et pressons-nous de mettre en place les mesures qui permettent de les « franciser » de façon rapide et efficace.
Certains extraits de cette lettre ont été repris dans Le discret mea culpa de Roberge – La Presse+
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