Les francophones du Nouveau-Brunswick ont réalisé d’importants progrès en matière de scolarisation au cours des dernières décennies. Pourtant, ils continuent de performer beaucoup moins bien aux tests de compétence que leurs homologues anglophones, et que les francophones du Québec, de l’Ontario et du Manitoba. Plus de 60 % des francophones de cette province ont obtenu un score qui correspond aux échelons inférieurs des échelles de littératie et de numératie. Leur performance au test de littératie du PEICA est inférieure d’au moins 10 points à celle des autres groupes à l’étude. Ces écarts ne sont pas nouveaux. Les francophones du Nouveau-Brunswick affichent traditionnellement des taux d’alphabétisme et de scolarisation plus faibles que les anglophones, et que les autres groupes de francophones au Canada. Ils font un usage moins fréquent de leurs compétences en littératie que leurs homologues anglophones. En plus de pratiquer moins régulièrement la lecture à la maison, les francophones du Nouveau-Brunswick font également moins usage de l’écrit au travail.
Les performances plus faibles des francophones du Nouveau-Brunswick au test de littératie du PEICA résultent principalement des différences dans la composition sociodémographique et dans les comportements liés à la littératie. Les francophones du Nouveau-Brunswick, et en particulier ceux qui résident dans le Nord de la province, affichent des niveaux de compétence inférieurs en littératie parce qu’ils sont moins scolarisés et qu’ils possèdent moins de capital culturel lié à l’écrit. Il en va ainsi notamment parce que les personnes plus scolarisées et possédant davantage de capital culturel lié à l’écrit, qui affichent généralement des niveaux de compétences supérieurs en littératie, sont plus susceptibles de quitter la province.
Entre 1973-1974 et 2013-2014, le Nouveau-Brunswick a perdu plus de 32 000 personnes dans ses échanges avec le reste du Canada. Un tel niveau de pertes migratoires est clairement susceptible d’avoir un effet sur les enjeux sociaux et économiques actuels et futurs de la province, d’autant plus que les migrants interprovinciaux tendent à être de jeunes adultes très scolarisés. Une partie des départs vers le reste du pays est le fait d’étudiants qui vont poursuivre des études universitaires à l’extérieur de la province tandis qu’une autre part relève de jeunes travailleurs très scolarisés qui ont trouvé un emploi ailleurs au Canada. Bien que l’apport d’un certain nombre d’immigrants admis dans le reste du pays parvienne à atténuer l’effet des pertes migratoires du Nouveau-Brunswick, il n’est pas du tout suffisant pour compenser les départs vers le reste du pays d’une part importante des immigrants francophones dans cette province.
Les migrations effectuent un « effet de sélection » qui affecte négativement les niveaux de compétence en littératie observés chez les francophones du Nouveau-Brunswick; d’abord directement, par des soldes migratoires négatifs particulièrement chez les personnes les plus compétentes; indirectement en accentuant le vieillissement de la population, autre facteur associé à de plus faibles compétences en littératie. À cause du vieillissement de la population, les communautés francophones seront vraisemblablement confrontées à d’importants défis afin de trouver des travailleurs, et ces défis risquent d’être particulièrement importants pour les communautés du Nord. Les difficultés à recruter de la main-d’œuvre compétente peuvent constituer un frein à la création d’entreprises. Dans la mesure où la présence d’un bassin de main-d’œuvre potentielle, dont les niveaux de compétence correspondent aux besoins des entreprises, est un facteur déterminant pour la création d’emploi, le vieillissement de la population constitue un enjeu particulièrement important pour le dynamisme économique d’une région.
Les niveaux de scolarisation plus faibles des francophones du Nouveau-Brunswick de même que leur situation géographique se traduisent par le fait qu’ils occupent des emplois requérant un niveau moindre de complexité. Près de la moitié des travailleurs francophones du Nouveau-Brunswick se retrouvent en situation de concordance entre de faibles compétences en littératie et un faible niveau d’utilisation de l’écrit au travail. Une part importante des travailleurs francophones peinent à s’insérer dans le « cercle vertueux de la littératie » de sorte que leurs compétences, d’emblée plus faibles, risquent de s’éroder au fil du temps.
Les performances particulièrement faibles des travailleurs des secteurs d’industrie en déclin, tant en matière de compétences que de pratiques liées à l’écrit, retiennent l’attention. Le nombre d’emplois dans ces secteurs, où la main-d’œuvre francophone est surreprésentée, est en déclin depuis plusieurs années. Ces travailleurs, moins scolarisés, plus âgés et demeurant souvent dans le Nord, pourraient être davantage à risque de perdre leur emploi ou de devoir réorienter leur carrière. Or, les difficultés qu’ils éprouvent en matière de littératie pourraient diminuer leurs chances de réussir ces transitions dans une économie où la demande de compétences ne cesse de gagner en sophistication.
La situation des francophones du Nouveau-Brunswick sur le marché du travail apparait certes désavantageuse par rapport aux anglophones de la province, de même qu’en comparaison avec les autres groupes francophones au Canada, mais elle cache le fait qu’il existe des disparités importantes au sein même des communautés francophones du Nouveau-Brunswick. Ces disparités économiques prennent largement la forme d’un clivage Nord-Sud. La région du Nord, où sont concentrés la majorité des francophones de la province, est donc particulièrement désavantagée sur le plan économique. Les francophones du Nord du Nouveau-Brunswick demeurent souvent dans des milieux ruraux et ont donc un accès beaucoup plus restreint à des activités et des infrastructures qui pourraient contribuer à l’adoption de pratiques pouvant favoriser le maintien des compétences.
Clairement, le bilan négatif de la population francophone du Nouveau-Brunswick en matière de migration interprovinciale est essentiellement le fait de la situation du Nord de la province, ce qui illustre les difficultés particulières de cette région à retenir ses effectifs de francophones et à attirer des francophones du reste du pays. Si le tiers des francophones résident dans la région de Moncton, près des deux tiers des immigrants récents s’y sont installés. À l’inverse, le Nord compte sur plus de la moitié de la population francophone de la province, mais n’a accueilli que 20 % des immigrants admis entre 2000 et 2011. De ce fait, il convient de se demander si l’immigration pourrait contribuer à alimenter les disparités régionales déjà importantes entre les différentes communautés francophones de la province et dans quelle mesure le Nord pourrait bénéficier de l’apport de nouveaux immigrants afin de redynamiser les communautés de cette région.
Enfin, notons que l’influence de l’anglais dans la vie des francophones qui résident dans des milieux majoritairement anglophones est aussi visible dans la langue dans laquelle les francophones ont choisi de passer les tests de compétence du PEICA. Un peu plus de 45 % des Néo-Brunswickois dont le français est la première langue officielle parlée ont passé les tests de compétence du PEICA en anglais.
Extraits choisis par le Moniteur de l’emploi de Les compétences en littératie chez les francophones du Nouveau-Brunswick. Enjeux démographiques et socioéconomiques
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